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Le rôle du cerf dans l’âge du Bronze européen Le mythe et la réalité : une première approche Eugène Warmenbol Introduction L’archéologue est, de réputation, un matérialiste. Il n’aurait accès qu’à la culture matérielle des hommes du passé. Il étudie les vestiges que ceux-ci ont abandonnés, accidentellement ou délibérément. À travers l’observation des gestes et des coutumes, oserions-nous dire, l’archéologue, pourtant, peut se faire historien, voire historien des religions. Il s’agit d’abord d’apprendre à voir mais ensuite, et surtout, de vouloir aller plus loin. Notre point de départ prend la forme d’un mors de cheval en bois de cerf (ig. 1), découvert en 1980 au Trou de Han à Han-sur-Lesse (Namur). Il provient des fouilles subaquatiques menées ici depuis 1963 par l’équipe de Marc Jasinski (le craf) 1. Nous avons publié cet objet en détail ailleurs 2. Il s’agit du plus ancien témoin, datable du 1 Sur ce site extraordinaire, voir Eugène Warmenbol, « Le « Trou de Han » à Hansur-Lesse », dans Christian frébutte, éd., Coup d’œil sur vingt-cinq ans de recherches archéologiques à Rochefort, de 1989 à 2014, Namur, Institut du Patrimoine wallon, 2014, p. 68-79. 2 Eugène Warmenbol, « L’or, la mort et les Hyperboréens. La bouche des Enfers ou le Trou de Han à Han-sur-Lesse », dans Peter Schauer, éd., Archäologische Forschungen zum Kultgeschehen in der Jüngeren Bronzezeit und Frühen Eisenzeit Alteuropas. Ergebnisse eines Kolloquiums in Regensburg, 4-7 Oktober 1993, Bonn, Universitätsverlag Bonn, 1996, ig. 12.3 ; Eugène Warmenbol, « Mors et renaissance à Han-sur-Lesse (Nr.). Quelques rélexions sur le cheval et le cerf à l’âge du Bronze », dans François GlanSdorff, éd., Liber amicorum Bernard Glansdorff, Bruxelles, Bruylant, 2008, p. 629 et ig. 1. 54 animal et reliGion Bronze inal iii (950-800 avant notre ère), témoin indirect il est vrai, de l’utilisation du cheval dans nos régions 3. Figure 1. Le mors de cheval en bois de cerf C80-176 découvert au Trou de Han à Han-sur-Lesse (Namur), Préhistohan, collection Société des Grottes de Han et de Rochefort, Han-sur-Lesse. Dessin : Rose Fey. Cheval et cerf à l’âge du Bronze Le bois de cerf est une matière utilisée avec prédilection pour la confection de mors de chevaux, jusqu’à la in de l’âge du Bronze, lorsqu’on lui préférera peu à peu le métal. Sans doute y avait-il des raisons pratiques à l’utilisation du bois de cerf, mais il nous semble qu’il y avait peut-être des raisons symboliques également, le métal n’étant pas moins accessible aux hommes de l’âge du Bronze qu’à ceux de l’âge du Fer. a / / 6 L’examen de quelques documents, souvent exceptionnels, nous permettra de formuler des hypothèses, qui ne seront, évidemment, que des hypothèses de travail. Le disque doré tracté par un cheval de bronze, mis au jour à Trundholm (Seeland, Danemark), l’un et l’autre montés sur un châssis à six roues, passe à juste titre pour une des images-clé de l’âge du Bronze européen (ig. 2) 4. Pour la typologie, voir Hans-Georg hüttel, Bronzezeitliche Trensen in Mittel- und Osteuropa. Grundzüge ihrer Entwicklung, Munich, Beck, 1981 (Prähistorische Bronzefunde, vol. xvi/2), p. 117-121. 4 Flemming Kaul, « The Sun-Image from Trundholm (« The Chariot of the Sun ») – a Commented History of Research », dans Harald meller et Françoise bertemeS, éd., Der Griff nach den Sternen. Wie Europas Eliten zu Macht und Reichtum kamen. Internationales Symposium in Halle (Saale). 16.-21. Februar 2005, Halle, Landesmuseum für Vorgeschichte, 2010 (Tagungen des Landesmuseum für Vorgeschichte Halle (Saale), vol. 5), p. 521-536. 3 le rôle du cerf danS l’âGe du bronze européen 55 Figure 2. Le dessin du « chariot » de Trundholm (Seeland), publié par Ekkehard Aner et Karl Kersten (National Museum of Denmark, Copenhague) 5. Le disque représente le soleil, doré sur l’avers, qui représente sa face « diurne », mais non sur le revers, qui représente sa face « nocturne ». Le cheval igure l’animal « divin » tirant l’astre diurne d’un horizon à l’autre 6. À Trundholm, il ne s’agirait toutefois pas, à proprement parler, de la reproduction d’un char solaire, à la manière de celui de l’Hélios hellène, dont le char fut malmené par son ils Phaéton. Les roues ne servent ici, en effet, qu’à assurer la mobilité de l’ensemble dans le théâtre religieux 7. La découverte de Trundholm témoigne, ni plus ni moins, et de manière explicite, de l’existence d’un ou plusieurs systèmes cosmologiques, mythologiques, voire philosophiques dans l’âge du Bronze européen. Le monde nordique associe par ailleurs le soleil à d’autres animaux, dont le cerf 8, qui remplace à l’occasion le cheval comme tracteur (ig. 3) 9. La question qui se pose est celle de savoir si le cheval de D’après Flemming Kaul, Ships on Bronzes. A Study in Bronze Age Religion and Iconography, Copenhague, National Museum of Denmark, 1998 (Publications from the National Museum. Studies in Archaeology and History, vol. 3), ig. 24. 6 Ibid., p. 30-35 et 199-215. 7 Flemming Kaul, « The Horse, the Ship, the Sun and the Wheel in the Nordic Bronze Age : Reality and Abstraction, Symbols and Metaphors – Conceiving Figures of Sacred Images », dans Zuzana KaraSová et Milan licKa, éd., Figuration et abstraction dans l’art de l’Europe ancienne (vIIe-Ier s. av. j.-c.). Actes du Colloque international de Prague, Musée national, 13-16 juillet 2000, Prague, Národní Muzeum, 2002 (Acta Musei Nationalis Pragae, Series a, Historia, vol. 56), p. 143-154. 8 Mais aussi le cachalot ! Voir Eugène Warmenbol, « Nordic Late Bronze Age Razors : « Very like a Whale » », dans Archäologisches Korrespondenzblatt, t. 45/4, sous presse. 9 Peter GellinG et Hilda Ellis davidSon, The Chariot of the Sun, and other Rites and Symbols of the Northern Bronze Age, Londres, Littlehampton Book Services Ltd, 1969, p. 87-96 et 167-174. 5 h / / 6 56 animal et reliGion Figure 3 a : Cerf (ou cheval ?) tractant le soleil, dans un bateau (Bohuslän, Suède, in situ) 10. Figure 3 b : Cerf associé au soleil (?), dans un bateau (Bohuslän, Suède, in situ) 11. Figure 3 c : Cheval tractant le soleil, s’élançant d’un bateau, iguré sur un « rasoir » en bronze (Neder Hvolris – Jutland-Central, National Museum of Denmark, Copenhague) 12. Figure 3 d : idem (objet sans provenance) 13. Trundholm ne pouvait être « transformé » en cerf, par l’adjonction de quelques pièces adventices 14 lorsqu’il s’agissait d’évoquer la course « nocturne », dont le cheval n’est en aucun cas le tracteur. Pourquoi le cerf ? Le cerf passe la journée à l’abri, au fond des bois, mais se retrouve aux gagnages la nuit, émergeant des frondaisons ténébreuses. La question que nous nous posons concrètement est celle de savoir si le cerf n’est pas, à l’âge du Bronze, en quelque sorte, le cheval de la nuit 15. D’après GellinG et davidSon, op. cit., ig. 44 g. Ibid., ig. 44 c. 12 Dessin de Bjorn Skaarup, d’après Kaul, Ships on Bronzes, op. cit., p. 99, n° 243. 13 Ibid., p. 156, n° 381. 14 On notera, a contrario, que la queue de l’animal tel qu’il nous est parvenu semble fort courte pour être celle d’un cheval, mais est d’une taille tout à fait normale pour être celle d’un cerf. 15 On notera aussi que le pelage du faon (Bambi !) est constellé (le verbe n’est pas choisi au hasard) de petites taches blanches évoquant la voûte céleste. 10 11 le rôle du cerf danS l’âGe du bronze européen 57 Figure 4. La coupe en or de Zurich-Altstetten (Musée national suisse, Zurich) 16. La coupe en or de Zürich-Altstetten (en Suisse alémanique), dont la datation au Bronze inal paraît assurée 17, pourrait venir le conirmer (ig. 4). Le document nous semble d’autant plus intéressant que le monde nord-alpin est bien plus avare en images que le monde nordique, signiiants et signiiés restant apparemment les mêmes. Près du pied, nous découvrons sept fois ce qui a de fortes chances d’être le croissant lunaire. Près du bord, nous trouvons, alternativement, quatre croissants et quatre disques : lunes et soleils ou lunes en croissance et pleines. L’ambiance semble plutôt nocturne ! Le décor principal de la coupe, encadré par les motifs déjà décrits, cependant, propose sept quadrupèdes, malheureusement pas tous faciles à identiier 18. 16 D’après naGy, « Technologische Aspekte der Goldschale von Zürich-Altstetten », op. cit. 17 Barbara armbruSter, Goldschmiedekunst und Bronzetechnik. Studien zum Metallhandwerk der Atlantischen Bronzezeit auf der Iberischen Halbinsel, Montagnac, Éditions Mergoil, 2000 (Monographies Instrumentum, vol. 15), p. 160-161. h / / 6 18 Andres furGer et Felix müller, L’or des Helvètes. Trésors celtiques en Suisse, Zurich, Musée national suisse, 1991, pl. i et ii ; Wilfried menGhin et Peter Schauer, Der Goldkegel von Ezelsdorf. Kultgerät der späten Bronzezeit, Nuremberg, Germanisches Nationalmuseum, 1983, p. 125-126. Voir aussi Patrick naGy, « Technologische Aspekte der Goldschale von ZürichAltstetten », dans Jahrbuch der Schweizerischen Gesellschaft für Ur- und Frühgeschichte, t. 75, 1992, p. 101-116. 58 animal et reliGion Il n’empêche que l’un d’entre eux est à l’évidence un cerf adulte et qu’au milieu des autres animaux igure sans doute un sanglier 19. Ils appartiennent vraisemblablement l’un et l’autre à la Lune, à la Nuit (voire à la Mort ?). C’est ici que nous noterons que lors du festival d’Artémis Laphria à Patrae, la prêtresse incarnant Artémis, divinité lunaire s’il en est, circulait dans un char tiré par des cerfs (cf. Pausanias, l. vii 18, 12). Les quatre « cerfs » tirant d’ordinaire le char de la déesse sont par ailleurs explicitement décrits comme des biches portant des ramures, à la manière des chevaux décrits plus haut ! D’aucuns notent que cette ambiguïté va fort bien à une divinité androgyne 20. Rappelons que le malheureux Actéon, chasseur devant l’éternel, est instantanément métamorphosé en cerf, voire en biche, après avoir vu Artémis nue (et ce bien malgré lui), ce qui lui vaut d’être dévoré par ses propres chiens 21. Figure 5. Le navire de Fårdal (Jutland), avec ses animaux cornus à la proue et à la poupe, tel que restitué par Peter Vilhelm Glob (National Museum of Denmark, Copenhague) 22. Une autre découverte intéressante pour notre propos est celle du dépôt de Fårdal (Jutland, à nouveau au Danemark) 23. Parmi les éléments igurés, nous retiendrons les deux protomés zoomorphes, identiiés par Flemming Kaul comme des chevaux cornus 24. Ne s’agirait-il pas, comme à Trundholm, d’un animal qui tient à la fois du cheval et du cerf ? Le jeune cerf ou daguet, est, en effet, un animal cornu, puisqu’il porte pendant les deux premières années de sa vie, non pas une ramure, mais deux Karl pömer et Dietmar Straub, Die Hallstattkultur. Frühform europäischer Einheit, Steyer, Schloss Lamberg, 1980, p. 228, ig. 10.14. 20 Läzlö Vajda, cité dans Ludwig pauli, « Ein frühkeltische Prunktrense aus der Donau », dans Germania, t. 61, 1983, p. 475. 21 Françoise frontiSi-ducroux, L’homme-cerf et la femme-araignée, Paris, Gallimard, 2003, p. 109. 22 D’après Kaul, Ships on Bronzes, op. cit., ig. 12. 23 Johannes brøndSted, Nordische Vorzeit. Band 2 : Bronzezeit in Dänemark, Neumünster, Karl Wachholtz, 1962, p. 206-207 ; Janet levy, Social and Religious Organisation in Bronze Age Denmark. An Analysis of Ritual Hoard Finds, Oxford, British Archaeological Reports Ltd, 1981 (British Archaeological Reports – International Series, vol. 124), p. 149, n° 290 et pl. 19. 24 Kaul, Ships on Bronzes, op. cit., p. 29-30. 19 le rôle du cerf danS l’âGe du bronze européen 59 dagues qui ont la forme d’une épée courbée. Les animaux cornus seraient les igures de proue et de poupe d’un navire « cultuel » 25 (ig. 5) tel que nous pouvons également en voir gravés sur des rasoirs illustrant la course solaire 26, le navire signiiant navigation. Certains de ces navires sont dextrogyres, d’autres sénestrogyres, les premiers liés au Jour, et, sans doute, la Vie, les autres à la Nuit, et, sans doute, la Mort 27. Les igures de proue sont identiiées d’habitude comme des protomés de chevaux, mais cela ne semble pas évident dans tous les cas, et encore moins pour les igures de poupe 28. Mais ne nous éloignons pas trop de notre sujet… Figure 6. Chanfrein cornu de Hagendrup (Seeland) (National Museum of Denmark, Copenhague) 29. Une espèce de chanfrein en or pourvu de deux cornes en bronze trouvée anciennement à Hagendrup (Seeland) (ig. 6) nous permet d’aller plus loin. Elle a été rapprochée, à juste titre, pensons-nous, des découvertes de Fårdal 30. Il s’agirait tout 25 Navire restitué par Peter Vilhelm Glob, « Kultbåde fra Danmarks Bronzealder », dans Kuml, 1962, p. 9-18. 26 Kaul, Ships on Bronzes, op. cit., passim. 27 Voir aussi Richard bradley, « Danish Razors and Swedish Rocks. Cosmology and the Bronze Age Landscape », dans Antiquity, t. 80, 2006, p. 372-389. 28 Le motif de la vague pourrait, à son tour, renvoyer au cheval (cf. François poplin, « Le cheval, le canard et le navire ; et pourquoi pas le lapin ? », dans Anthropozoologica, t. 12, 1990, p. 13-33, citant Léo Ferré dans « Comme à Ostende » (1960) : On voyait les chevaux de la mer / h / / Qui fonçaient la tête la première / Et qui fracassaient leur crinière / Devant le casino désert…). 29 D’après Kaul, Ships on Bronzes, op. cit., ig. 23. 30 Ibid., ig. 23. 60 animal et reliGion simplement d’une coiffe permettant, justement, la transformation du cheval ou de son image, en animal cornu, aux cornes déjetées vers l’arrière. Pour autant qu’il y ait la volonté de représenter un animal réel, nous pensons qu’il n’est pas impossible qu’il s’agissait justement du cerf ou, plus exactement, du daguet, le jeune mâle, dont les premiers bois ont bien le dessin des « cornes » de Fårdal et de Hagendrup 31. Le cheval peut devenir cerf. Figure 7. Les masques funéraires des chevaux n° 5 et n° 10 du kourgane 1 de Pazyryk, dans l’Altaï (Musée de l’Ermitage, Saint-Pétersbourg) 32. Que la transformation du cheval en cerf ait effectivement été une (pré)occupation des « barbares » indo-européens est spectaculairement démontré par les découvertes faites dans le domaine scythe, datant, certes, de l’âge du Fer. Ainsi à Pazyryk, dans l’Altaï, les tombes 1, 2 et 5, datant de la in du ve et de la première moitié du ive siècle avant notre ère, ont produit des chevaux qui étaient pourvus de coiffes reproduisant Le « chanfrein » de Torrs Farm (Kirkcudbrightshire, Écosse) pourrait être un « équivalent » celtique de cet objet danois : voir Morna macGreGor, Early Celtic art in North Britain, Leicester, Leicester University Press, 1976, p. 23-24 et 146-147 ; Jenni calder, The Wealth of a Nation, Edimbourg, National Museums of Scotland, 1989, p. 97-99. 32 D’après lebedynSKy, Les Scythes, op. cit., p. 234. 31 le rôle du cerf danS l’âGe du bronze européen 61 des bois de cerf, en bois, en cuir et en feutre (ig. 7) 33. Certes il s’agit là d’exemples plus jeunes et, pour nous, lointains, mais qui ne nous éloignent pas du rite, ni du mythe, chez les Indo-Européens 34. Cerf et cheval à l’âge du Bronze Que le cheval porte parfois des mors en bois de cerf pourrait, nous en sommes inalement convaincu, avoir aussi une raison symbolique, tout comme le fait qu’il porte parfois une ramure. Le cerf peut aussi par ailleurs, à son tour, porter un mors, mais il ne semble certes pas en os de cheval 35. Il reste qu’une sépulture d’un cerf harnaché telle celle de Villeneuve-Renneville (Marne) (ig. 8) laisse songeur. Les fouilleurs notent à son propos que « la bête a été sacriiée d’un coup porté derrière la corne droite » et que « les branches des cornes du cerf ont été rognées de son vivant » 36, Figure 8. La tombe d’un cerf harnaché de Villeneuve-Renneville (Marne) 37. Renate rolle, Die Welt der Skythen. Stutenmelker und Pferdebogner : Ein antikes Reitervolk in neurer Sicht, Lucerne et Francfort-sur-le-Main, Verlag C. J. Bucher, 1980, p. 62-65 et 102-117 ; Andreï I. alexeev, Ludmilla L. barKova et Ludmilla K. Galanina, Nomades des steppes. Les Scythes, vIIe-IIIe siècle av. j.c., Paris, Éditions Autrement, 2001, ill. 68. 34 Esther JacobSon, The Deer Goddess of Ancient Siberia. A Study in the Ecology of Belief, Leyden, Brill, 1993 (Studies in the History of Religions, vol. 55), p. 62-69 et pl. iii, b et d ; Iaroslav lebedynSKy, Les Scythes. Les Scythes d’Europe et la période scythe dans les steppes d’Eurasie, vIe-IIIe siècles av. j.-c., Paris, Errance, 2011, p. 229-238. 35 pauli, « Ein frühkeltische Prunktrense aus der Donau », op. cit., p. 459-486. 36 André briSSon, Jean-Jacques hatt et Pierre roualet, « Le cimetière gaulois La Tène Ia du Mont Gravet, à Villeneuve-Renneville (Marne) », dans Mémoires de la Société d’Agriculture, Commerce, Sciences et Arts du département de la Marne, t. 86, pl. xvii, 1971, p. 34. 37 D’après briSSon, hatt et roualet, « Le cimetière gaulois La Tène Ia du Mont Gravet », op. cit. 33 62 animal et reliGion le cerf champenois devenant ainsi une biche. Il s’agit, bien sûr, d’un ensemble du Second âge du Fer 38, mais nous sommes de ceux qui croient aux continuités entre l’âge du Bronze et l’âge du Fer. Que le cheval et le cerf soient complémentaires nous paraît également démontré, certes de manière directe, par la présence, exceptionnelle, de ce dernier sur des broches à rôtir articulées, qui comptent parmi les rares objets du Bronze atlantique avec un décor iguré. Ils y sont aussi rares que dans le monde nord-alpin. Une broche décorée d’une tête de cerf a été mise au jour dans le dépôt de Challans (Vendée) 39, tandis que le quadrupède représenté sur une broche du dépôt de Notre-Dame-d’Or (Vienne) 40 est donné pour un cervidé (ig. 9). L’animal « décorant » habituellement les broches à rôtir est un oiseau, peu caractérisé d’ailleurs 41. Or nous connaissons bien maintenant le rôle des chevaux comme tracteurs du soleil « du jour », mais aussi celui des oiseaux d’eau, et des cygnes en particulier, comme tracteurs du soleil « de la nuit » 42. Que le cheval et le cerf sont complémentaires nous paraît aussi démontré par le fait que, d’une certaine manière, l’oiseau et le cerf sont intervertibles 43. 38 Il y a également des exemples gallo-romains, comme les quatre inhumations de Nogentsur-Seine (Aube), de « tradition celtique », si on veut : voir François poplin, « Les cerfs harnachés de Nogent-sur-Seine et le statut du cerf antique », dans Comptes rendus des séances de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, t. 140, 1996, p. 393-421. 39 Antoine verney, « Le dépôt de Challans (Vendée) », dans Bulletin de la Société préhistorique française, t. 87, 1990, p. 409 et ig. 7.31. 40 Jean-Pierre pautreau, Le Chalcolithique et l’âge du Bronze en Poitou (Vendée, DeuxSèvres, Vienne), Poitiers, Centre d’Archéologie et d’Ethnologie poitevines, Musée SainteCroix, 1979, p. 224-225, ig. 82.4 et 85.4. 41 Voir par exemple Christian chevillot, Sites et cultures de l’âge du Bronze en Périgord, Périgueux, Éditions Vesuna, 1989 (Archéologies, vol. 3), p. 161-162 et pl. 324. 42 Patrice brun, « Représentations symboliques, lieux de culte et dépôts votifs dans l’est de la France au Bronze inal et au 1er âge du Fer », dans Peter Schauer, éd., Archäologische Forschungen zum Kultgeschehen in der Jüngeren Bronzezeit und Frühen Eisenzeit Alteuropas. Ergebnisse eines Kolloquiums in Regensburg, 4-7 Oktober 1993, Bonn, Universitätsverlag Bonn, 1996, p. 194 ; Stefan Wirth, « Sur l’iconographie de l’âge du Bronze inal en Europe centrale : de nouvelles pistes, un autre regard », dans Stefan Wirth, L’âge du bronze inal européen : temps mesuré, temps culturel – du matériel à l’idéel, thèse inédite présentée pour obtenir l’habilitation à diriger des recherches à l’Université de Bourgogne, 2006, p. 72-77. Voir surtout Stefan Wirth, « Sonnenbarke und zyklisches Weltbild – Überlegungen zum Verständnis der spätbronzezeitlichen Ikonographie in Mitteleuropa », dans Harald meller et François bertemeS, éd., Der Griff nach den Sternen. Wie Europas Eliten zu Macht und Reichtum kamen. Internationales Symposium in Halle (Saale) 16.-21. Februar 2005, Halle, Landesmuseums für Vorgeschichte, 2010 (Tagungen des Landesmuseums für Vorgeschichte Halle (Saale), vol. 5), p. 501-515. 43 Quel gibier passait donc à la broche ? Le « chariot » de Strettweg (Obersteiermark, Autriche), datant du Premier âge du Fer, passe parfois pour représenter une « chasse » au cerf. Le cerf semble plutôt escorté, mais, en effet, des membres de cette escorte portent une hache, qui n’est par ailleurs pas nécessairement là pour l’abattre (pour Strettweg, voir Markus eGG, Das hallstattzeitliche Fürstengrab von Strettweg bei Judenburg in der Obersteiermark, Mayence, Römisch-Germanisches Zentralmuseum, 1996 (Monographien des Römisch-Germanischen Zentralmuseums, vol. 37) ; Marko mele et Daniel modl, « The Cult Chariot from Strettweg le rôle du cerf danS l’âGe du bronze européen 63 Figure 9. Les broches à rôtir de Challans (Vendée) (a, Musée d’archéologie nationale, Saint-Germainen-Laye 44) et de Notre-Dame-d’Or (Vienne) (b, Musée Sainte-Croix, Poitiers) 45. Mentionnons enin les anses de certaines coupelles villanoviennes (contemporaines du Bronze inal iii transalpin) avec un motif faisant sans doute allusion au cycle solaire, puisqu’elles proposent dans une composition circulaire deux chevaux et deux oiseaux. Le motif semble fort typique de la production de Vetulonia, en face de l’île d’Elbe, un site portuaire grand ouvert sur la mer Tyrrhénienne 46. L’anneau extérieur n’en est que fort rarement fermé. Gero von Merhart parle, en conséquence, d’anses cornues (« Henkelhörner »), mais ne s’avance pas plus 47. Il est parfaitement clair, toutefois, qu’il pense aux cornes du taureau ; il est tout aussi clair, cependant, que l’on peut aussi penser à la ramure du cerf… La coupelle avec l’anse composée d’un disque – and the Wheels Keep on Turning », dans Oskar Habjanič, éd., The Practical Value of the a / / Wooden Wheel. The Collected Volume of the Symposium 26. and 27.9. 2014, Maribor, Regional Museum Maribor, 2014 (Museoeurope, vol. 1), p. 13-22. 44 D’après verney, « Le dépôt de Challans (Vendée) », op. cit. 45 D’après pautreau, Le Chalcolithique et l’âge du Bronze en Poitou, op. cit. 46 Giovannangelo camporeale, I Commerci di Vetulonia in Età orientalizzante, Florence, Sansoni, 1969, pl. xv-xvii. 47 Gero von merhart, « Zu einer Etruskischen Henkelschale », dans Georg KoSSacK, éd., Gero von Merhart, Hallstatt und Italien. Gesammelte Aufsätze zur Frühen Eisenzeit in Italien und Mitteleuropa, Mayence, Römisch-Germanisches Zentralmuseum, 1969, p. 275. 64 animal et reliGion Figure 10. Anses igurées de coupelles d’époque villanovienne, de provenances diverses (2, 4 et 8 de Vetulonia) 48. et d’un croissant superposés ne nous donnerait qu’une variante sur le thème. D’autres exemplaires, entre autres de Bologne, représentent un personnage debout entre deux oiseaux, qui « rappelle fortement le récit grec d’Apollon transporté par des cygnes » (ig. 10) 49. Voilà qui résume l’histoire. Pour autant que notre interprétation soit exacte, nous aurions donc affaire à un motif solaire encadré par une ramure de cerf. Il n’en va pas autrement du cruciix illuminé qui igure dans la ramure du cerf apparu à SaintHubert, « héros de la vie aux dimensions humaines, en attendant de fêter le retour du Soleil, la Nativité, l’avènement d’un nouveau cycle de fertilité » 50. a / / 6 D’après von merhart, « Zu einer Etruskischen Henkelschale », op. cit., p. 275, Abb. 3. Wirth, « Sur l’iconographie de l’âge du Bronze inal en Europe centrale », op. cit., p. 93-95 et ig. 27. 50 Nadine duboiS-marquet, « Essai de lecture calendaire de la fête de Saint-Hubert », dans Alain dierKenS et Jean-Marie duvoSquel, éd., Le culte de Saint-Hubert au Pays de Liège, Bruxelles, Crédit communal, 1991, p. 101. Rappelons l’existence d’un dieu cornu, dénommé Cernunnos sur le « Pilier des Nautes » de Paris, à l’âge du Fer. Sa représentation la plus célèbre, en compagnie d’un cerf d’ailleurs, se trouve sur le fameux « chaudron de Gundestrup », mis au jour dans une autre tourbière du Jutland : voir Garrett S. olmSted, The Gundestrup Cauldron. Its Archaeological Context, the Style and Iconography of its Portrayed Motifs, and their Narration of a Gaulish Version of « Táin Bó Cúailnge », Louvain, Peeters, 1979 (Collection Latomus, vol. 162). La scène dans laquelle il igure est interprétée de manières très diverses. 48 49 le rôle du cerf danS l’âGe du bronze européen 65 Conclusion Les relations entre le cheval et le cerf étaient donc fort étroites lors de la Protohistoire et les décors des éléments de harnachement en bois de cerf portés par les chevaux de l’époque l’attestent à leur tour. L’un des plus anciens exemples de pièces de harnachement d’Europe occidentale a été découvert dans la Grotte des Perrats à Agris (Charente) (ig. 11) 51. Il appartient à la Culture des Duffaits, c’est-à-dire à un âge du Bronze moyen assez avancé, les années 1400 avant notre ère. Un disque décoré au compas qui en faisait partie est pourvu d’un motif composé de méandres et de cercles concentriques, dont la parenté avec le motif décorant le deuxième « registre » de la face dorée du disque de Trundholm est tout à fait frappante. Il s’agit bien de la Figure 11. Éléments de harnachement « diurne » de la grotte des Perrats à Agris (Charente) (Musée d’Angoulême) 52. Le dieu semble cependant avoir un rôle à jouer dans l’eschatologie du (guerrier) défunt (voir, parmi les dernières contributions, Christian Goudineau et Paul verdier, « Religion et science », dans Christian Goudineau, dir., Religion et société en Gaule, Paris, Errance, p. 27-77). a / / 2006, 6 51 José Gomez de Soto, Le Bronze moyen en Occident. La Culture des Duffaits et la Civilisation des Tumulus, Paris, Picard, 1995 (L’âge du bronze en France, vol. 5), p. 71-72 et ig. 25 ; José Gomez de Soto, Grotte des Perrats à Agris (Charente), 1981-1994. Étude préliminaire, Chauvigny, Association des Publications chauvinoises, 1996, p. 78 et ig. 47. 52 D’après Gomez de Soto, Le Bronze moyen en Occident, op. cit., ig. 24. 66 animal et reliGion face « solaire » du disque (ig. 12), tout autrement « bouclée » que la face « lunaire », comme l’a démontré Christian Sommerfeld 53. Figure 12. Le tracé des spirales sur les faces (Schlingband) et « nocturne » (Wendespirale) du disque du « chariot » de Trundholm 54. La délicate phalère d’Agris est côté cheval par son décor, côté cerf par sa matière. La nature de l’un est dans l’autre, la lumière de l’un fait l’autre. Ou la lumière brille même dans les ténèbres les plus profondes... a / / 6 Christoph Sommerfeld, « Die Kehrseite. Anmerkungen zur Rolle des Mondes in der Ikonographie der Bronzezeit », dans Harald meller et Françoise bertemeS, éd., Der Griff nach den Sternen. Wie Europas Eliten zu Macht und Reichtum kamen. Internationales Symposium in Halle (Saale). 16.-21. Februar 2005, Halle, Landesmuseum für Vorgeschichte, 2010 (Tagungen des Landesmuseum für Vorgeschichte Halle (Saale), vol. 5), p. 537-551. Les disques en bronze portés par certaines jeunes femmes danoises, comme par exemple la célèbre « dame d’Egtved », sont également décorés de motifs de ce type, en des combinaisons qui ont valeur calendaire. Voir Klavs randSborG, « Spirals ! Calendars in the Bronze Age in Denmark », dans Adoranten, 2009, p. 60-70. 54 D’après Sommerfeld, « Die Kehrseite. Anmerkungen zur Rolle des Mondes in der Ikonographie der Bronzezeit », op. cit., p. 542, Abb. 7. 53